voilà le mien
en partant de l'idée que la haine est rarement gratuite, et qu'en cherchant bien, on lui trouve toujours un fondement.
bonne lecture
L'ange
Je suis un ange.
Ne souriez pas, je n'ai rien avoir avec les chérubins qui virevoltent au dessus de vos têtes les fesses à l'air.
Moi, je fais peur !
Je regarde les murs noirs autour de moi, légèrement arrondis et lisses comme de l'ardoise.
Depuis combien de temps suis-je enfermé dans ce puits ? Un jour ? Un siècle ?
Plutôt un siècle.
Au début, je me suis rué vers les murs de ma prison de roche. J'ai cherché en vain les interstices, j'ai poussé fort, très fort, car ma puissance est phénoménale.
J'ai crié aussi, de rage, mais sans succès.
Lentement, je lève les yeux. Les murs se rétrécissent au dessus de ma tête, pour finir par ne former qu'un entonnoir, un étroit conduit de pierre noire, qui s'élève à plusieurs dizaines de mètres.
Tout en haut, une ouverture, pas plus large que mon corps, refermée par des barreaux. Une petite fenêtre de lumière, sans lumière.
Car ce que je peux voir du ciel demeure perpétuellement gris ; un nuage avant la tempête, sans jamais la tempête.
Je suis au coeur des limbes, au fond d'un trou de souris.
Ici, personne ne viendra me chercher, c'est impossible.
J'ai essayé d'escalader, ça aussi. Mais la prison verticale près de moi est trop plate, il n'y a aucun endroit où m'accrocher. Aujourd'hui je n'ai plus d'ongles.
Tant de fois je me suis jeté contre les murs, ivre de colère, fou !
Comme une bête en cage, j'ai pris les quelques pas d'élan que mon trou me permettait, et j'ai cogné très fort, de tout mon corps de géant. Mon crâne, mon front, mon buste. J'ai écrasé mes mains sanguinolentes sur la paroi, comme un dément.
Car je ne suis rien d'autre. La haine m'a tout pris. Elle a tout brûlé, l'empathie, la joie, la gentillesse, l'honneur, la bravoure, l'honnêteté. Tout a prit feu, comme un vieux journal arrosé d'essence. La combustion a été immédiate, et efficace. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'elle, la haine.
On m'a volé quelqu'un, enfin je crois. Parfois, quelques flashs imprévisibles me reviennent, des sensations.
Une main fragile et douce que je frôle, un corps chaud, nu, que je serre contre moi alors que je prend mon envol.
Un baiser, brûlant, qui me laisse sans oxygène.
Le souvenir de mon cœur, qui bat encore, pour cette humaine au regard de lagon qui me presse contre sa poitrine malgré nos différences.
Était-ce de l'amour ? Je ne sais plus ! En tout cas, s'il vivait en moi, il a surement brûlé avec le reste.
On m'a interdit de la garder, c'est tout ce dont je me souviens. Malgré ma force, on me l'a prise, on l'a arrachée à mes bras, pour la jeter de la falaise.
Je l'ai regardée s'enfoncer dans la brume du grand vide, son visage tourné vers le mien avec confiance, et j'ai plongé à mon tour, pour aller la chercher, parce que je suis un ange, je peux voler, parce que je lui ai promis que jamais personne ne pourrait lui faire du mal.
J'entends le bruit des os brisés. Mes ailes ont été arrachées en plein vol, j'ai hurlé de désespoir, à en faire trembler les montagnes.
Mais je ne l'ai pas sauvée.
Aujourd'hui les moignons que je porte saignent encore.
Le sang qui suinte indéfiniment de mes plaies à vif souille les dernières plumes blanches qui s'accrochent encore dans mon dos, ruissellent le long de ma colonne vertébrale, s'attardent dans le creux de mes reins, qui se rappellent nos étreintes.
Qui me la prise ? Qui a osé ?
Je tourne en rond comme un sauvage, les yeux hagards.
Un instant, mon regard se pose sur une longue fissure que je n'avais encore jamais remarquée. Pourtant, je suis ici depuis si longtemps, que la furie qui bouillonne en moi est désormais irrémédiable.
Je contemple la fente. Elle se trouve au dessus de moi, à plusieurs mètres.
Mais ma détente reste impressionnante, et je bondis, comme l'animal que je suis devenu.
Mes doigts en feu trouvent une prise, et je m'accroche.
Là où je suis, à présent suspendu, l'espace est suffisamment étroit.
Avec prudence et application, les muscles bandés à l'extrême, je cale mes pieds nus bien à plat juste en dessous de moi.
Puis je me lâche des deux mains.
Poussant de toutes mes forces sur mes cuisses, je plaque dans un bruit sourd mon dos contre la paroi opposée.
Mes ailes meurtries s'enfoncent dans mon dos. C'est douloureux. J'aime ça.
La tension de mes membres sur les murs, comme si je cherchais à les écarter, me maintient en équilibre précaire au dessus du vide.
Si je tombe, je n'aurais qu'à recommencer, j'ai la nuit des temps pour cela !
Mais je tiens bon, insufflant à mon corps une pression quasi constante.
Délicatement, je colle mes bras le long de mon buste. Puis mes paumes épousent les contours de la pierre, comme des ventouses. Je tente un pas vers le haut, sur ce sol vertical, puis mes épaules se trémoussent, dérobant chaque centimètre à la gravité.
Je monte.
Le conduit de roche se resserre, c'est de plus en plus facile.
Même si je commence à ressentir des crampes abominables, je m'acharne. La souffrance physique est la bienvenue, tout le temps.
Enfin une de mes mains relâche la roche du puits pour s'entourer autour d'un barreau.
Ma force est phénoménale, inconcevable, je vous l'ai déjà dit ? Surement, puisque je perds la tête.
Le grillage qui cercle l'ouverture s'envole littéralement sous la seule pression de mes doigts.
Dans un mouvement final, souple, je relâche mon torse, mes jambes devenus bâton. Je chute.
Mes mains assurées s'agrippent au rebord du trou.
En une fraction de seconde, je suis dehors.
Les pieds au bord du gouffre, je contemple d'en haut ma cage sombre, celle qui m'a emprisonné durant des décennies. Un sourire victorieux s'incruste sur mes traits, je crache à l'intérieur.
Cela fait si longtemps maintenant que je n'ai pas sourit, que la douleur sur mon visage est fulgurante. Bien plus puissante que les plaies sur mes mains, mon crâne fendu, mes épaules griffées, mes moignons déchiquetés.
Je lève la tête en direction du ciel noir. Je me repais de cette souffrance, elle m'alimente à présent, réveille le brasier dans mes tripes.
Alors que l'air nouveau fouette mon corps, emporte mes longs cheveux de jais, j'épouse l'espace, le grand vide.
Mes bras s'écartent dans cette communion, l'énergie me revient.
Autour de moi, des dunes de sable gris, la pierre de ma geôle réduite en poudre.
Rien de plus, je suis dans les limbes.
Le feu de la haine, qui sillonne encore mes entrailles reprend de la vigueur, c'est perceptible.
Un bruit de verres qui s'entrechoquent réveille mon attention. Avec stupeur, je contemple mes ailes se reformer.
Je m'accroupis.
Mes plumes renaissent. Elles ne sont plus blanches désormais, mais prennent la couleur de la cendre qui m'entoure.
Enfin, je sens mon dos vibrer à nouveau de leur puissance.
Je suis une bombe prête à exploser, un big bang à moi tout seul.
Les yeux toujours fixés vers le ciel, je ri, pourquoi m'en priver ?
Mes ailes se déploient alors que je m'arrache du sol, avec la grâce que je n'ai jamais vraiment perdue.
J'arrive.
Ne soyez pas content pour moi, ne souriez pas non plus, faîtes plutôt vos prières.
Car désormais, je ne suis rien d'autre que l'ange de la mort !